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Gérer ensemble les ressources du vivant. Approche juridique et focus sur les forêts

Intervenants : Michel Badré (Membre du Conseil économique, social et environnemental et ancien Président de l'Autorité environnementale), Alain Karsenty (Économiste de l'environnement, Directeur de recherches, Consultant international, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et Gilles Martin (Professeur émérite à l'Université de Nice-Sophia Antipolis, Professeur associé à l'École de Droit de Sciences Po Paris).

 

Organisation : Convergence à La Source et Humanité et Biodiversité.

 

Selon la présentation de Michel Badré, la forêt française, comme exemple de forêt tempérée, est caractérisée par deux objectifs, l'un qui vise à rendre possible ou à optimiser la production de bois pour satisfaire des besoins nationaux ou à l'exportation, l'autre qui vise à la satisfaction de besoins de la société autres que la production de bois, tels que par exemple, parmi d’autres, la qualité des paysages ou la protection contre les risques d'érosion en zone de montagne. Dans le premier cas, il s'agit de produire des feuillus ou des résineux de bonne qualité destinés au commerce du bois et à la fabrication/construction en bois. Dans le second cas, ce n'est plus la qualité intrinsèque du bois qui compte, mais d’autres caractéristiques forestières. Ainsi, pour la protection contre les risques dus à l’érosion, c’est l'aptitude de la végétation, quelle qu'elle soit, à stabiliser les terrains. C'est d'ailleurs un service spécialisé de l'Office national des forêts (ONF) qui s'en occupe, celui de Restauration des terrains en montagne (RTM).

 

Les objectifs, autres que la production ligneuse, incombent de longue date à la forêt, puisqu'on l'évoque déjà avec Pline l'Ancien, qui s'inquiète déjà de voir les effets du déboisement sur le régime des eaux. Pour remonter à des temps plus récents, l'ordonnance de Brunoy (1346), édictée par Philippe VI de Valois, a pour objectif majeur de préserver les ressources forestières face aux abus d'utilisation, ce qui implique déjà une gestion "soutenable" de la forêt : c'est le premier texte connu utilisant ce terme. Celle de Colbert (1669) constitue un véritable code forestier, destiné à la fois à la production de bois pour les constructions navales et à la soutenabilité des exploitations de bois de chauffage, mais qui ne parvient pas à initier une gestion économe et organisée du bois de chauffage : ainsi la forêt du Morvan souffrait à l'époque de surexploitation importante pour alimenter Paris. Une évolution importante intervient au XVIIIe siècle avec Duhamel du Monceau (1700-1782), considéré comme un des précurseurs de la sylviculture modernes, dépassant les seules mesures de lutte contre les excès d’exploitation. Mais la surexploitation liée à la consommation de bois de chauffage ne s’arrêtera qu’avec le grand changement dans les combustibles au XIXe et au XXe siècles avec l'arrivée du charbon, puis du pétrole. Il faut toutefois rappeler que la forêt métropolitaine, selon l'inventaire forestier national 2006-2011, couvre près de 30% du territoire national, soit 16,3 millions d'hectares, ce qui représente, selon la FAO, 10% de la superficie forestière de l'Europe et met la France en 4ème position, en termes de superficie forestière, derrière la Suède, la Finlande et l'Espagne. Les 3/4 de la forêt sont privés et relèvent de 3,5 millions de propriétaires dont les 2/3 disposent de moins d'un hectare.

 

Aujourd'hui, l'accent est mis sur la gestion durable de la forêt, conjointement une affaire de culture et de science, et sur la filière bois. L'accent conjoint sur la biodiversité et la multifonctionnalité correspond à des attentes fortes du public. Pour rester concret, la forêt française couvre à la fois de vastes superficies, mais elle est très éclatée entre de très nombreux propriétaires (voir ci-dessus), ce qui conduit à considérer qu'elle inclut à la fois de très nombreux très petits territoires et de grandes superficies, rendant difficile le travail d'harmonisation pour le fonctionnement durable, donc à long terme, de la forêt. Compte tenu des durées de pousse des différentes espèces d'arbres, la durée longue doit être prise en compte dans la gestion des forêts, tout en intégrant une vision commerciale à court et moyen terme. C'est une difficulté majeure de la filière bois. Dans cette perspective économique, il ne faut pas oublier la production énergétique à partir de biomasse, qui se développe à nouveau depuis une vingtaine d'années. La France n'est pas en avance avec 200 usines de méthanisation environ contre 6 500 en Allemagne. En revanche, les chaufferies individuelles ou collectives au bois en zone rurale connaissent actuellement un développement rapide.

 

La forêt tropicale, présentée par Alain Karsenty, est d'abord introduite avec une incertitude sur les chiffres exacts de déforestation, qui conduisent néanmoins à la conclusion que la perte de forêt tropicale est nettement en croissance. Selon la FAO (2011)[1], le taux brut moyen de déforestation pour l'ensemble des forets, sur la période 2000-2010, a été de 13 millions d'hectares par an pour une superficie mondiale de l'ordre de 4 milliards d'hectares. Si l'on ne considère que la forêt tropicale, la déforestation atteint 5,4 millions d'hectares par an, dont 3,6 pour l'Amazonie, environ 1 pour l'Asie et 0,7 pour la bassin du Congo, par rapport à une superficie globale de forêt tropicale d'environ 2 milliards d'hectares. Il s'agit de chiffres de déforestation brute, qui ne tiennent pas compte des replantations. Cette perte soulève des problèmes très divers qui, outre la perte de superficies couvertes de forêts, peuvent aussi s'exprimer en pertes de capacités de stockage de carbone dans les sols, en accroissement indirect des émissions de gaz à effet de serre (GES) ou en réduction de la biodiversité alors que l'on considère que la forêt tropicale renferme 50 à 80% des espèces animales et végétales de la Planète. De cette situation résulte également que la gestion durable des forêts (GDF) mise en place au sommet de Rio en 1992, se décline maintenant à toutes les échelles et prend en compte, selon les Nations Unies, les aspects sociaux, économiques, culturels et spirituels des générations actuelles et futures.

 

Ce sont des raisons économiques principalement qui sont à l'origine de la déforestation. Il est plus intéressant financièrement de convertir les espaces forestiers en terres d'élevage sur des pâturages et des terres artificialisées, ou des terres agricoles comme celles attribuées au Brésil pour la production d'éthanol dérivé du maïs. En outre, on ne se situe pas dans les mêmes pas de temps, le court-moyen terme agricole, versus le long terme forestier. La diversité des causes économiques sous-jacentes englobe la production de soja comme alimentation du bétail dans les pays occidentaux et l'Asie du SE, l'huile de palme, les agrocarburants (éthanol, biodiésel), l'hévéa pour le caoutchouc (pneumatiques auto et avion), sans oublier l'urbanisation forte consommatrice de territoires. À l'inverse, on peut invoquer le manque de capital pour le développement des petits agriculteurs en pays en développement.

 

Les solutions pour réduire la déforestation sont clairement économiques et sociales : plutôt que de viser à rémunérer les États pour des « résultats » qui resteront largement invérifiables, il faut mettre en avant l’investissement dans de nouvelles pratiques agro-sylvo-pastorales pour les petits producteurs, clarifier le droit foncier, rémunérer les paysans pour la conservation des forêts, éviter l'accaparement des surfaces par les grands opérateurs, locaux et étrangers. Les mots clefs sont l'investissement et la volonté politique de l'État dans la gestion durable des forêts.

 

Avec Gilles Martin, on revient à une notion générale qui est celle de la place du droit dans la gestion des ressources renouvelables. Le droit peut être au cœur de la régulation. Dans nos sociétés, c'est un instrument naturel de normalisation des comportements et des activités, de même que le système juridique est par nature un lieu de croisement et de dialogue entre les différents systèmes : scientifique, économique, politique, moral, religieux (exemple du statut de l'animal). Mais le droit ne peut être assimilé à la seule réglementation/sanction, ni être perçu comme une simple boîte à outils (droit d'ingénieurs) ; il doit aussi se voir reconnaître une autonomie relative dans sa relation avec les analyses, scientifiques et économiques notamment.

 

En droit, les ressources renouvelables (air, eau, biodiversité) peuvent relever de la propriété privée ou publique (forêts, sources...), ou être qualifiées de choses communes ou sans maître (atmosphère, lune, soleil, eaux courantes, faune et flore sauvages...) ; dans tous les cas, elles font l'objet de réglementations de leur exploitation ou de leur usage. La vision la plus étroite du droit est donc largement dominante : le droit réglemente beaucoup (trop ?) et il est très technique et mal ordonné. De même, il sanctionne (peu et mal), implique beaucoup de contrôle et porte des valeurs mal identifiées.

 

En revanche, certaines fonctions du droit sont totalement négligées. On peut en retenir quatre : 1) la qualification qui consiste à placer une étiquette sur une chose, un ensemble de choses, un service ou un ensemble de services pour les soumettre à un ou plusieurs régimes juridiques (qualification de l'animal ou de la forêt par exemple), 2) la fourniture à la société civile d'instruments de gestion (exemple : obligations réelles environnementales, contrats d'assurance, chartes, responsabilité civile)[2], 3) les moyens permettant d'articuler les mécanismes de marchés et des valeurs non marchandes par la mise en place de mécanismes et d'autorités de régulation (par exemple pour « décarboniser » notre économie ou pour piloter la compensation en matière de biodiversité), 4) enfin la "procéduralisation" des processus de décision en l'absence de consensus sur le fond.

 

 

 

 

 

[1] FAO, 2011. Évaluation des ressources forestières mondiales. Rapport principal, FAO, Rome.

[2] Cf. l’article paru dans le Monde du 25 février 2016, sous la signature de Patrick d’Humières, et intitulé « COP21 : une nouvelle économie contractuelle pour le climat ».

 

Vendredi, 19 Février, 2016